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La lavande : des nuages noirs sur les champs bleus

La lavande : des nuages noirs sur les champs bleus

L’histoire de l’utilisation de la lavande commence avec l’arrivée en Provence des Romains, il y a environ 2000 ans. Déjà fort prisée à cette époque lointaine pour son fabuleux parfum, elle a traversé les siècles et les modes. Car est-il plus beau symbole de la Provence que cette plante dont la couleur, l’odeur, les propriétés médicinales et aromatiques évoquent une région où il fait bon vivre et dont les paysages inspirent le rêve, l’évasion et la joie de vivre ?

Les lavandes appartiennent à la famille des lamiacées, famille importante et assez bien représentée en Provence avec le thym, le romarin, l’origan, la sariette et la sauge sclarée.
Le mot « lavande » (Lavandula) aurait été créé au Moyen-Age d’après le verbe latin « lavare » qui veut dire « laver », mais l’usage de cette plante date d’une époque bien antérieure.
Les premières mentions qu’on trouve dans la littérature montrent que l’aristocratie romaine en faisait un usage immodéré pour parfumer son bain et son linge.

Au XIIIème siècle, la lavande est distillée pour obtenir de l’huile essentielle dont on apprécie les vertus médicinales. Mais c’est surtout au cours de la deuxième moitié du XIXème siècle que la cueillette de la lavande s’est developpée dans le midi de la France.
Cette vaste région, qui s’étend des pieds du Mont Ventoux jusqu’à l’arrière du pays niçois, avec son sol calcaire, ses températures de -20° à + 40° sur le plateau de Valensole, son ensoleillement et  sa luminosité, a été pendant longtemps le domaine incontesté des plantations de Lavandula Angustifolia.

Aujourd’hui, le bouleversement des échanges commerciaux, l’émergence de nouveaux pays producteurs, le développement de la parfumerie - détergence et cosmétiques - ont  entraîné un changement de politique dans l’approvisionnement des matières premières aromatiques. La recherche d’une rentabilité toujours plus grande avec des prix  toujours plus bas a fait migrer la production des matières premières vers des pays comme la Bulgarie, la Russie et, depuis quelque temps, la Chine.

 La culture de la lavande (Lavandula Angustifolia), comme celle de son hybride le lavandin (Lavandula AngustifoliaXLavandula Latifolia), est aujourd’hui menacée pour trois  raisons principales :
- les évolutions climatiques : sécheresse et canicule affectent un an sur trois les rendements en huile essentielle.
- un dépérissement bactérien transmis par un insecte, la cicadelle, petite cigale de 2 mm emblématique de la Provence, qui pique la tige des lavandes et injecte dans la sève une bactérie. La plante contaminée meurt progressivement en s’asséchant comme du foin ; elle transmet la maladie aux autres plants sains si bien que la durée de vie d’une plantation, qui était d’une dizaine d’années jusqu’à la fin du siècle dernier, n’est plus aujourd’hui que de 3 à 5 ans.
- enfin et surtout, la directive européenne REACH qui considère les huiles essentielles, et celle de lavande en particulier, comme des mélanges de molécules chimiques : limonene, pinenes, linalol… Les quantités de lavande autorisées aujourd’hui le seront-elles encore demain ou bien nous imposera-t-on l’absence totale de lavande dans les parfums ?
Depuis le début du XXIème siècle, la Haute Provence a connu trois années de sécheresse et de canicule (2003, 2006 et surtout 2007) : un désastre pour les cultures qui ont fortement souffert et qui, dans bien des cas, ont dû être arrachées. Heureusement, la pluviométrie de ces dernières années a été plus favorable, ce qui a entraîné un léger redémarrage des plantations.
Cependant, la culture de la lavande en Provence risque d’être en péril dans 20-30 ans si nous ne sommes pas en mesure d’apporter des solutions techniques à ces problèmes : nouvelles variétés plus résistantes aux maladies, irrigation des zones de culture, lutte contre le dépérissement.
Ce dépérissement, qui a commencé en 1998-2000, est aujourd’hui le problème sanitaire majeur pour la lavande et le lavandin car la cicadelle vit toute l’année sur les cultures. L’utilisation des pesticides est interdite pour ne pas condamner les ruches avoisinantes et la production du miel de lavande si justement apprécié. Le CRIEPPAM, organisme de recherche sur la lavande basé à Volx, à côté de Manosque, travaille sur différents outils pour réduire les populations de cicadelles, comme la kaolinite, variété d’argile que l’on pulvérise depuis 2010 sur les plantations pour les protéger des piqûres de cicadelles. Les premiers résultats sont encourageants et les recherches se poursuivent.

Les producteurs, conscients des dangers pour la filière que représente ce dépérissement, ont tenu à revoir leurs techniques de production. Comme le dit Romain Pochet du CIHEF (Comité Interprofessionnel des H.E. Françaises), «d’autres solutions ont été experimentées et sont en cours de developpement, comme les plantations d’écrans végétaux de céréales ou de légumineuses qui alternent avec les rangées de lavande, afin de perturber le déplacement de l’insecte ». Par ailleurs, la technique de l’ensemencement plein champ, à la place de l’élevage en godets chez le pépiniériste, qui étouffe les racines, devrait permettre à celles-ci de s’enfoncer plus profondément dans le sol et ainsi de trouver l’eau qui leur manque pendant les périodes de canicule.
Aujourd’hui, les principaux pays producteurs d’H.E. de lavande sont la France, la Bulgarie, premier producteur mondial avec 100 à 120 tonnes par an - dont 60% exportés vers la France - la Russie et la Chine. Dans ce pays, depuis 2009, toute la production auparavant exportée est aujourd’hui utilisée pour les besoins internes. L’Espagne produit déjà du lavandin, et les plantations de lavande tendent là aussi à se développer.

La lavande, en France, avec le lavandin, représente environ 20 000 ha de plantations et 2000 exploitations, 120 distilleries dont 30 ouvertes à la curiosité du grand public.
La plante que l’on trouve à l’état sauvage dans les collines de Provence et que l’on cultive aujourd’hui porte d’autres noms que le nom botanique officiel (Lavadula Angustifolia) : la lavande vraie (Lavandula Vera), lavande fine ou lavande officinale (Lavandula Officinalis), ce qui permet de la différencier du lavandin.
La reproduction de lavande vraie s’effectue par semis. Première technique : les producteurs veulent conserver une race homogène secrétant ses propres défenses. Soit ils prélèvent les graines sur l’ensemble de la plantation, soit ils choisissent les plus beaux plants pour la reproduction en espérant une descendance sélective.
Une deuxième technique consiste à ramasser les graines tombées sur le sol de la distillerie au cours du chargement des alambics, ce qui exclut toute sélection de graines. Dans une parcelle ainsi cultivée, chaque plant issu d’une graine est génétiquement différent de son voisin ; la plantation a alors un aspect hétérogène : les plants sont de couleurs et de tailles très variées, justifiant cette appellation de « lavande de population ». L’H.E. est ainsi olfactivement riche et bien équilibrée dans sa composition. C’est la seule ayant droit à une appellation AOC, garantissant des constantes analytiques précises (densité, indice de réfraction, teneur en esters, etc), une composition conforme aux normes Afnor, une origine géographique précise sur un terroir compris entre 800 et 1400 mètres d’altitude, et donc une qualité olfactive supérieure, en accord avec un décret paru au Journal Officiel en 1981. Toute la filière lavandicole cherche actuellement à développer de nouvelles lavandes de population : principalement la Rapido, mais aussi la Carla et la Sara.
Pour lutter contre les lavandes d’importation, au coût largement inférieur aux H.E. de lavande française, il a fallu développer d’autres types de lavande par la technique du bouturage : à partir d’un plant de lavande de population selectionné pour ses qualités, on fait plusieurs milliers de boutures qu’on plante directement en plein champ, après un premier séjour chez le pépiniériste : le même individu choisi pour ses qualités est reproduit à l’identique. On obtient ainsi un champ homogène où tous les plants ont la même forme, taille et couleur que le plant mère. Cela donnera naissance à l’H.E. de lavande clônale
C’est ce type de lavande clônale qui est cultivé par les autres pays producteurs.
LH.E de lavande clônale la plus répandue - et qui dépasse aujourd’hui, en quantité, la lavande de population - est la lavande Maillette. Une autre lavande clônale est également cultivée en France : la lavande Matheronne, moins utilisée car peu soluble dans l’alcool et surtout réservée à l’assemblage.
Les quantités produites, en France, d’H.E. de lavande clônale sont de 32 tonnes, en augmentation de 7% par rapport à 2013 ; celles de lavande population sont de 26 t., en augmentation de 18%. Elles représentaient 150 t. dans les années 1960.
Les critères qui définissent la qualité d’une H.E. sont les critères olfactifs et les critères analytiques. En ce qui concerne la lavande, le critère le plus souvent utilisé a été, jusqu’à l’avènement de la chromatographie, le titrage en esters. On distinguait ainsi la lavande Haut Titrage 50/52¨% et la lavande Bas Titrage 40/42%, en fonction de la teneur en esters totaux, ce qui valorisait certains crus de lavande (géographiquement localisés) comme la Mont Blanc, la Barrême, la St Christol ou la Montguer. Aujourd’hui, la chromatographie permet de donner avec précision la teneur en acétate de linalyle et ces subtilités se sont perdues.

Si la production est en augmentation aujourd’hui, c’est bien parce que, à partir des années 2000, l’ensemble de la filière parfumerie (agricole et industrielle) s’est portée au secours de la lavande française :
- en 2000 : les agriculteurs installent un champ de lavande en pots sur la place des Vosges à Paris pour sensibiliser le grand public, avec alambic en fonctionnement, conférences, vente d’H.E., etc.
- la Société Française des Parfumeurs organise un concours auprès des jeunes parfumeurs internationaux pour créer une eau de toilette masculine et féminine contenant au minimum 15% d’H.E. de lavande. Le prix est remis à un jeune parfumeur français à l’occasion du WPC de 2002.
- à Marseille, « Capitale européenne de la Culture » en 2013, la municipalité installe un champ de lavande le long du Vieux Port pour sensibiliser les visiteurs à cette production.
Il est important de lutter contre la confusion qui s’est peu à peu établie dans l’esprit du grand public entre la lavande et le lavandin.
Depuis une quarantaine d’années, on a galvaudé la note lavande en faisant passer le lavandin pour de la lavande. Les lessives, détergents, produits d’entretien ne sont pas parfumés, comme le disait une publicité télévisée, « à la lavande de nos collines », mais bien avec du lavandin, beaucoup moins cher, plus tenace et planté en grandes quantités. On en produit aujourd’hui plus de 1200 tonnes en France alors qu’on en produisait 1 tonne au début de sa production, autour de 1925.

 

La véritable lavande, avec une odeur beaucoup plus subtile et plus riche, séduit les parfumeurs depuis bien longtemps. En 1884, l’eau de toilette Fougère Royale, de  Houbigant, lui réserve une place majeure dans ce qui deviendra la nouvelle famille des Fougères (notes lavandées, boisées, bergamote, mousse de chêne et coumarine) ;
en 1934, la première eau de toilette masculine voit le jour avec Pour un Homme de Caron, toujours d’actualité et qui contiendrait plus de 50% d’H.E. de lavande.

La remontée en gamme de la filière française, depuis quelques années, attire de grands parfumeurs. En 2007, le parfum Gris Clair de Serge Lutens réussit le mariage lavande-  bois-musc. En 2008, Jean-Claude Ellena associe la fraîcheur de la lavande à la chaleur d’une réglisse gourmande avec Hermessence Brin de Réglisse d’Hermès. On remarque  également Jersey de Jacques Polge pour les Exclusifs de Chanel, Lavender Palm de Tom Ford, Le Beau Mâle de J.P. Gaultier et bien d’autres encore.
Alors, démodé le parfum de la véritable lavande ? Non car, comme le dit avec passion le parfumeur Francis Kurkdjian, «la lavande, c’est comme la couleur noire de la mode, on ne s’en lasse pas».

Ange Zola

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